“ Quand Rose arrive en France, elle emménage en banlieue parisienne avec ses deux fils, Jean et Ernest.
Construction et déconstruction d’une famille, de la fin des années 80 jusqu’à nos jours. ”
ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE
Comment est née l’idée de Un Petit frère ?
Je crois que le film est né d’un manque, et d’un étonnement de ne pas voir cette histoire-là portée au cinéma, alors qu’elle faisait autant partie de mon pays, de ma vie. Ce projet de « roman de famille » est également lié à un besoin que j’avais de raconter une partie de leur histoire à mes enfants, ou du
moins une interprétation de cette histoire.
Après Jeune femme j’avais aussi envie de me tourner vers un projet très différent et romanesque. J’en ai parlé au père de mes enfants car le projet prenait soudain forme dans ma tête. Je cherchais j’imagine une forme de « validation » de sa part mais il m’a répondu « ce qui compte c’est que tu racontes cette
histoire à ta façon ».
J’ai mis quelques mois à intégrer que ce serait très librement inspiré de son histoire et que ce serait mon film. J’y ai vu un territoire qui correspondait aux questionnements qui m’habitaient à ce moment-là : qu’est-ce que ça veut dire être une famille? Être une mère, un fils ? Venir d’ailleurs, et être français ? Le film vient de cette carte blanche totale qui m’a été donnée. J’ai abordé le film avec un mélange de libertés et de responsabilités.
Parlons des fils, et de l’aîné, Jean. Très doué à l’école, puis rattrapé par une forme de dépression à 20 ans. Comment avez-vous conçu son évolution ?
Jean est un enfant qui arrive en France avec beaucoup d’espoir posé sur lui. Comme tout enfant qui aime sa maman il veut combler les attentes qu’elle place en lui.
Plus tard, il est une nouvelle fois transporté dans un autre élément, la bourgeoisie rouennaise, dans laquelle il ne se sent pas légitime, il y a la culture qui lui manque peut-être, ou certains codes. La réussite scolaire toute seule ne peut pas tout. Ça m’intéressait de dessiner ce « devoir de réussite », d’interroger ses limites. C’est un grand frère qui fait aussi office de « père » pour son petit frère, et il est écrasé de responsabilités.
A-t-il eu le temps de rêver sa vie ? C’est cet état que je voulais interroger. C’est aussi un hypersensible, perméable à la fébrilité de sa mère, qu’il ne sait comment aider.
Ernest, le cadet, a un parcours quasi-inverse.
Ernest porte lui aussi beaucoup de choses sur les épaules. Il semble plus solide que Jean, mais peut-être que dans le fond, il n’est pas si solide… Lui aussi a traversé une phase difficile. Il se pose aussi des questions sur son identité. On lui dit même à un moment : « la dépression, c’est pas pour nous. Tu as
trop traîné avec les Blancs ». Mais de quelle couleur se sent Ernest réellement ? Parfois une mélancolie se transmet, une tristesse court entre les générations, et les plus petits en sont le réceptacle sans parvenir à bien le cerner.
Annabelle Langronne qui joue Rose est une formidable découverte.
La rencontre m’a marquée. Le rôle semblait très important pour elle et ça m’importait.
Quand on n’est pas tout seul à choisir mais que le rôle semble être très attendu aussi en face, la discussion est riche, moins déséquilibrée. Annabelle avait la carrure pour incarner Rose à différents âges, et un mélange singulier de force, de grâce. Je lui ai proposé plusieurs morceaux de musique pour choisir un titre préféré du personnage, et elle en a apporté un autre, qui lui semblait être plus celui de Rose.
Dès le premier essai elle était déjà dans le film. Son point de vue, son regard étaient précieux, toujours justes. Sur le plateau, on pouvait tout faire, tout tenter ensemble.
Elle est précise et extrêmement inventive. Il y a en elle à la fois la légèreté et le tragique.
Et c’est rare, je trouve.
Stéphane Bak joue Jean à 20 ans.
On l’a déjà vu dans plusieurs rôles et c’est la première fois qu’il joue de façon aussi intériorisée.
C’est est un cérébral, il cogite beaucoup, il travaille beaucoup, il est têtu, il aime débattre et le fait avec intelligence et personnalité. Il m’a fait penser au Jean enfant que j’avais écrit au scénario. Il y a aussi
quelque chose de l’enfance très ancrée en lui, il est ouvert, et lumineux, passionné et talentueux.
Il semblait connaitre Jean, et m’en a parlé avec acuité, conscient de ce qu’il fallait jouer.
Il avait du recul sur son personnage et cette histoire. La rencontre entre Stéphane et Annabelle a permis de commencer à construire cette famille. Il y a une sorte d’équilibre des forces entre eux, c’est palpable dans l’air.
Et Ahmed Sylla?
Ahmed était dans un registre inhabituel en tournant ce projet – c’est ce qu’il m’a dit. Je crois qu’on était tous les deux surpris de travailler l’un avec l’autre. Et j’ai trouvé cela très réjouissant ! C’est quelqu’un d’une grande sensibilité, un acteur à la fois émotif et très technique, alors il s’est glissé dans le film avec beaucoup de finesse et de naturel. J’en ai été assez stupéfaite, je dois dire. Il n’a pas tant de scènes que cela, mais il a emmené le personnage plus loin que je ne l’espérais, de toute évidence, avec une générosité à l’égard du film et des autres comédiens, en particulier avec les non-professionnels.
» Un petit frère » est le deuxième film de Leonor Serraille après le très beau Jeune Femme qui avait eu la Caméra d’Or est bouleversant. Il est émouvant, plein de tendresse. Il était en compétition dans la sélection officielle à Cannes en 2022.
Au début du film, Rose dit à ses enfants : » il faut toujours être le plus fort et ne jamais pleurer » . Le petit frère montre qu’il faut pleurer dans sa tête.
Sortie en salle le : 1er février 2023