Qu’on ait vu le jour il y a 20, 40 ou 60 ans, nous connaissons tous, ou à peu près, les marins dessinés par Cocteau ainsi que les héros démesurés de Tom of Finland. Les plus avertis d’entre nous, quant à eux, ont déjà été confrontés aux œuvres de Blade, Jean Boullet, Paul Cadmus, Roland Caillaux, ou encore Roger Payne. Mais voici qu’un nouveau nom émerge et s’impose dans le panthéon des spécialistes du nu masculin : Paul Smara. Et à notre grand étonnement, il n’est pas né avec ce siècle, mais il y a 124 ans… Autant dire une éternité !

En examinant les 48 dessins au crayon rehaussé de blanc issus de la collection du galeriste Pierre Passebon, on est surpris que le nom de Paul Smara ne nous soit pas plus familier. Comment ces fleurs délicates et ouvragées, nourries des amours clandestines qu’ont longtemps abritées les hôtels borgnes de nos côtes ont-elles pu traverser le XX^e siècle dans l’ombre épaisse de l’ignorance puis de l’oubli ? Ici, un matelot rentré de mer se caresse dans l’éternité d’un ciel brestois. Là, deux soldats en garnison se sont endormis, fourbus, comme statufiés par la petite mort. Là encore, dans la chambre d’un établissent de Toulon ou de Marseille, un groupe de marins en permission profite de sa liberté retrouvée pour explorer le désir sous toutes ses formes. Et toujours, chez Smara, à côté de ce trait si sûr, une fantaisie canaille qui lui fait croquer ici un pied de lit turgescent, là un roc dressé comme un phallus, des papiers peints à motifs d’œillets suggestifs, ou encore des bittes d’amarrage qui n’ont jamais aussi bien sonné à nos oreilles.

Il se pourrait bien que grâce à l’exposition qui se tient à Paris, conjuguée à la parution d’un tout premier ouvrage illustré, le nom de Paul Smara (1899-1978), puni sans doute d’avoir trop aimé son propre sexe, accède enfin à la lumière que son œuvre appelle.

Texte de Damien Roger

Exposition des dessins de Paul Smara, du mardi 23 mai au samedi 1^er juillet 2023,

Galerie Obsession, 5 passage Charles Dallery 75011 Paris.

Les 48 dessins ont été reproduits dans un luxueux ouvrage au tirage limité intitulé Paul Smara, aux éditions Hors Champ, 128 pages, 45€.