Depuis janvier 2009, j’ai couvert environ 200 défilés lors de la Fashion-Week hommes, ce qui est beaucoup pour moi, mais peu par rapport à d’autres qui en couvrent 10 fois plus. Cela dépend des invitations que l’on reçoit. Certaines, avec ce que j’adore en plus du podium, le backstage. Le backstage permet de voir l’envers du décor, le maquillage, et surtout de pouvoir discuter avec quelques mannequins. C’était facile au début, ce l’est moins ces dernières années, car ils sont tous concentrés sur leur smartphone, à part un ou deux qui ont un livre à la main. Depuis deux ans avec la pandémie, les défilés se sont fait rares, la plupart sont en digital.
La première fois que j’ai rencontré Kevin Flamme ce fut le 28 juin 2009, lors du défilé Massatomo (Rynshu) collection Printemps/Eté 2010. Il avait 20 ans. Il était assis par terre dans ses pensées.
Il a gentiment accepté que je le prenne en photo, nous avons discuté un peu, puis nous nous sommes revus lors de diverses Fashion-Week. Nous avons sympathisé.
La dernière fois que je l’ai vu, je lui avais demandé combien de défilés, il allait couvrir, il m’a répondu : « un, car j’ai des examens » Puis nous sommes restés en contact par Facebook.
J’ai été honoré quand il m’a contacté pour m’informer qu’il avait écrit un livre dont le sujet est le monde du mannequinat professionnel : » Entre glamour et souffrance, le métier de mannequin » (Éditions Érès). La lecture de ce livre décrit ce que je pensais, que ce monde dont beaucoup de jeunes rêvent n’est pas si idyllique, surtout quand on commence à l’âge de 15 ans. Kevin Flamme a été mannequin professionnel pendant 8 ans.
Dans le livre le prénom des différents mannequins a été changé, plusieurs se confient comme Pierre, Damien et Timéo ( il a commencé à l’âge de 14 ans), ils ont une analyse bien précise du métier, tout comme celle de Kévin.
Damien : » C’est une jungle où l’on ne sait pas trop sur quoi on va tomber. Le territoire est décomposé en sphères, où sont catégorisés les mannequins, tandis que la plupart d’entre eux sont issus de milieux modestes comme aisés. Il faut que les jeunes mannequins, retirés de leur milieu naturel, suscitent l’intérêt des clients, en quête de fraicheur et d’innocence. Leur succès est incertain, les nouveaux codes marketing et artistique qui gouvernent aujourd’hui, ne donnent plus le premier rôle aux hommes jeunes, baraqués et beaux : les logiques de la mode mutent en permanence, les typologies et la manière de travailler ne sont plus les mêmes puisque, aujourd’hui, le marketing et l’artistique se sont détachés de l’image professionnelle du mannequin « .
Beaucoup de jeunes rêvent de devenir mannequin, ils ne voient que le « bon côté de la chose », mais la réalité est différente. Il faut intégrer une agence, que celle-ci croit en vous, vous envoie à des castings. Le casting comme l’explique Kévin peut quand on débute durer longtemps car on se rend à l’adresse indiquée, et quand on arrive on s’aperçoit que la file est longue dans l’escalier, elle s’allongera derrière vous. Avec de l’expérience, on arrive à passer plus rapidement. Il faut toujours avoir avec soi, son book et son composite (le book et les composites sont facturés par l’agence).
Puis certains repartent déçus, ils n’ont pas été retenus après des heures d’attente.
La recherche de la lumière
« La compétition est très agressive, comme une compétition de sportif en fait. Si tu veux te donner le maximun de chances pour réussir, il faut rester soi-même et se moquer du reste parce que ce n’est qu’un jeu. Parfois je gagne, parfois je perds. Le mannequinat c’est du poker, c’est comme au casino, c’est une roulette russe. Le facteur chance est incroyablement décisif pour réussir. Il faut faire face à des compétiteurs[…] En réalité c’est le mental, pour moi, qui fait le mannequin. Un mannequin qui a exercé pendant plusieurs années ne peut pas être abattu. Même avec un genou à terre, il aura vécu trop de choses pour flancher. »
La Fashion Week, le lieu où faire ses armes.
Plusieurs villes dans le monde célèbrent les fashion week deux fois par an, en hiver et en été : Paris, Milan, Londres, New York parmi les principales. Le mannequin doit se rendre dans la ville qu’on lui a désigner, il doit se débrouiller lui-même, aucune avance sur salaire; tous les frais à la charge du mannequin : voyage, logement, alimentation, déplacement, frais de l’agence dans la ville où on le mannequin est. Alors, la seule solution est de décrocher des contrats pour payer tout cela, chose que votre agence ne vous dit pas.
Si le mannequin est retenu, il y a les séances d’essayages, les répétitions sur le podium, tourner au bon endroit indiqué, sachant que l’on doit regarder devant et non par terre, que l’éclairage sera différent le jour du défilé. Les journées sont longues, parfois 14 heures, et le lendemain il faut être en forme.
Le jour du défilé, il faut gérer le stress avant de se lancer sur le podium, défiler, puis retourner derrière celui-ci rejoindre l’habilleuse, se changer rapidement et rejoindre la file pour un second passage.
Lors des défilés que j’ai couvert, il arrive que des mannequins ne marchent pas au milieu, ne tournent pas au bon endroit, ne marque pas un temps d’arrêt devant le podium réservé aux photographes, alors là, ceux-ci crient après le mannequin, généralement ce sont les photographes italiens qui se comportent ainsi à Paris. Je ne sais pas si leur comportement est le même à Milan ?
Les soirées après les défilés.
Comme l’explique Kévin, il est important soit d’aller dans les soirées organisées par les marques, ou dans les boîtes de nuit, les propriétaires attendent les mannequins, l’entrée est gratuites ainsi que les consommations, cela fait venir la clientèle.
Pierre : » Il faut que les gens te gardent à l’œil qu’ils voient que tu existes, parce que la concurrence est rude. C’est un jeu, un challenge, la compétition est difficile et pour réussir, il vaut mieux être prêt à s’y consacrer entièrement. J’ai de très bons amis qui ont eu un très haut niveau parce qu’ils jouent le business à 3000%. . Ils sont présents à tous les évènements et savent très bien se vendre. «
« Au bout de quelques années de mannequinat, je me suis complètement familiarisé avec la mode. Je sortais le soir, faisais parfois huit boîtes de nuit dans la même soirée et rentrais à 10 heures le lendemain matin comme une poule en cage. Je ne faisais qu’écouter ce qu’on me disait parce que certaines personnes me conseillaient en soirée, et d’adopter une attitude particulière, pour y rencontrer des clients. Pour moi, le monde de la nuit est devenu un jeu dans lequel j’ai failli perdre pied : c’est un vrai truc de schizophrène, le mannequinat[…]Moi, j’allais de plus en plus en soirée et souvent j’avais des crises de panique. J’avais envie de tuer quelqu’un »
Tout cela peut paraître un monde idéal, mais le mal-vivre des certains mannequins est tue ainsi que ses souffrances. Certains ont rompu le silence.
Les mannequins doivent se soumettre à ce que désirent les stylistes, leurs fantasmes, mettre de côté leurs émotions.
Timéo : « Je ne suis qu’un morceau de viande. [Tu es] un produit à vendre […] T’es un objet, il ne faut pas l’oublier, t’es un objet, t’es là pour être mannequin. »
Le côté obscur du mannequinat : l’argent.
Le mannequinat est une source de revenu considérable pour les agences, les marques, les stylistes, mais pas pour celui qui les représentent : le mannequin. Tous ne tirent pas leur épingle du jeu. Les mannequins hommes sont en moyenne rémunérés presque moitié moins que les mannequins femmes. En 2015, celles-ci gagnaient en moyenne 41 300 dollars par an, contre 28 000 dollars chez les hommes. Le mannequin le mieux payé chez les femmes en 2014, Giselle Bundchen, touchait 47 millions de dollar, contre 1,5 million pour Sean O’pry, son homologue masculin.
La comptabilité qui entoure le mannequin et son agence est opaque, il ne saurât jamais combien son agence empoche d’argent par rapport à celle qui lui est versée, et les modalités de concertation avec les clients, stylistes, etc…
Certains mannequins qui n’ont rien à coté, attendent un coup de fil de leur agence, vivent dans la précarité. Les prestations ne sont pas toujours réglées rapidement, mais souvent six mois après, et si les shootings pour des marques ne sont pas au rendez-vous. La vie est difficile.
Je ne vais pas tout vous dévoiler, le livre de Kévin est là pour cela, son analyse sur son métier de mannequin, sa vie d’étudiant en parallèle, puis la décision de tout arrêter pour se consacrer à ses études. Il va vous faire découvrir un monde méconnu, où l’argent tient une part importante, des scandales parfois, comment garder sa tête sur les épaules quand on est souvent déstabilisé.
Non, les mannequins « n’ont rien dans la tête » comme beaucoup le pensent, c’est faux, ils sont intelligents et pour la plupart, sauf si ils restent en tête d’affiche, ils savent se reconvertir dans des métiers près de la mode ou comme Kévin dans celui qu’il a choisi.
Le livre : » Entre souffrance et glamour, le métier de mannequin » de Kévin Flamme aux Editions Erés est en vente dans toutes le librairies au prix de 28,00€